“La vie na ngai oyo ya sans souci (Ma vie est celle de l’insouciance);Mwasi na ngai nzinzi famille na ngai mabele (Ma femme est une mouche; ma famille, c’est la terre);Nawuta na mabele nakozonga na mabele (Je suis venu de la terre et je reternourai à la terre);Mokolo nakokufa nayebi nakopola (Quand je mourrai, je sais que je vaispourrir).Baliyaka na ngai bakokanga zolo na nsolo (Ceux qui ont mangé avec moi seboucheront les narines pour ne pas sentir l’odeur de mon cadavre );Bamelaka na ngai bakokima kosukola ngai (Ceux qui ont bu avec moi fuiront de laver mon macchabé);Ebembe ya Masiya ata bokimi e banzinzi bakolela ngai, nazali na confiance(Le cadavre de Masiya, même si vousl’évitez, les mouches, elles, mepleureront; j’ai confiance ).”
Ces mots sont du grand poète et guitariste Congolais Lutumba Ndomanueno alias Simaro Masiya, considéré comme le meilleur auteur compositeur de tous les temps de la République Démocratique du Congo. Ces mots, le poète Lutumba les a mis dans sa chanson d’anthologie “Ntoto” encore appelée “Mabele”, sortie en 1974 et interprétée alors par Sam Mangwana.
Le poète Lutumba ne jouera plus sa célèbre et légendaire guitare et n’ecrira plus ses chansons: il est décédé ce 30 Mars 2019, soient seulement 11 jours après qu’il ait fêté ses 81 ans d’âge. Il laisse derrière lui une riche carrière musicale de 61 ans et une œuvre artistique immense qui a marqué et marquera encore pour longtemps l’univers de la Musique Congolaise.
C’est en 1958 que le poète Lutumba, qui n’a alors que 20 ans d’âge (car né le 19 Mars 1938), se lance dans la musique en se faisant enrôlé dans l’orchestre “Micra Jazz”. Il y fait ses premiers pas dans l’art d’Orphée mais aucune œuvre de lui ne sortira à l’époque. Une année après, il intègre le groupe “Congo Jazz” de Gérard Madiata. Rapellons que tous ces orchestres n’avaient de “Jazz” que de nom car ils jouaient la Rumba et non le style des célèbres Louis Armstrong et Duke Ellington. C’est dans “Congo Jazz” que Lutumba enregistre ses premières œuvres connues du public: “Simarocca”, “Muana Etike” et “Lisolo ya Ndaku”.
En 1961, il intègre le mythique “Ok Jazz” du Grand Franco Luambo Makiadi. Il ferra 28 ans de sa carrière aux côtés du second “Grand Maître” de la Musique Congolaise (le Premier étant le Grand Kallé Kabasele Tshiamala). Ces 28 années sont ponctuées de ses légendaires tubes à succès comme les cultissimes “Mabele” et “Ebale ya Zaïre “, “Maya”, “Testament ya Bowule”, “Cœur Artificiel “, “Okokoma Mokristo”, “Faute ya Commerçant”…En 1989, Franco Luambo Makiadi meurt. Lutumba Simaro reste au sein du groupe “TP Ok Jazz” qu’il ne quittera qu’en 1994 suite à un désaccord avec la famille biologique de Franco. Entre temps, ses tubes “Diarrhée Verbale”, “Daty Petrol”, “Eau benite”, “Muana Ndeke” et “Ophella” auront fait le bonheur de tous les mélomanes, du Zaïre de l’époque en particulier et Africains en général, durant la période 1989-1994.En 1994, quand il quitte le “TP Ok Jazz “, le poète Lutumba fonde le groupe “Bana Ok” dont il devient le patron. Des ténors du “TP Ok Jazz ” tels Pépé Ndombe Oppetum et Josquie Kiambukuta le suivent dans cette nouvelle aventure. Cette même année, le groupe “Bana Ok” enregistre à Brazzaville l’album “Cabinet Molili” qui connaît un franc succès à l’époque. Dans la chanson éponyme de cet album, par la voix du chanteur Seigneur Likombe, le poète Lutumba conseille à tout parent ceci: “Montre à ton enfant la voie de l’école, il sera utile à la société et t’aidera dans ta vieillesse;Ne lui enseigne pas la sorcellerie, il éxterminera toute ta famille.Enseigne lui le partage, la générosité; il récoltera l’amour en retour”.
En 1998, Lutumba Simaro, accompagné de son groupe “Bana Ok ” et une kyrielle d’autres chanteurs Congolais (dont Defao Matumona, Mbilia Bel, Madilu System et Pépé Kallé) sort l’album “Trahison”. Les chansons “Trahison”, “Mayamba” et bien d’autres tirées de cet album sont des succès. Le tube “Trahison”, divinement interprété par Pépé Kallé, est d’ailleurs un titre d’anthologie.Après “Trahison”, le poète Lutumba sortira bien d’autres titres et albums jusqu’en 2018 quand, fatigué par le poids des ans et la maladie, il decidera de mettre officiellement fin à sa carrière musicale, préférant dédicacer sa mythique guitare d’accompagnement, dont il était une virtuose, au Chef de l’État Congolais de l’époque, Joseph Kabila Kabange.
Pour la RDC, son pays, le poète Lutumba aura été tout un patrimoine national. Il aura eu l’estime des artistes Congolais et Africains de toutes les générations. C’est un éducateur social dont le public s’ identifie facilement dans ses œuvres qui vient de quitter cette Terre. Et ce ne sont pas seulement les mouches qui le pleurent mais bien toute un nation qui, nous l’espérons, saura lui rendre tous les honneurs dignes de sa légendaire carrière et de sa haute personnalité (en lui érigeant, par exemple, son monument qu’il réclame dans la chanson “Mabele”).
Par Akramm TUMSIFU